INTRODUCTION
« Y a pas photo ! ». Cogiter sur « l’accueil, l’écoute et l’accompagnement » n’est pas si évident. Chacun a déjà eu cette expérience d’accueillir, d’écouter et d’accompagner quelqu’un, d’une manière formelle ou informelle. Certaines structures académiques ou para-académiques offrent des stratégies, des techniques, voire des méthodes pédagogiques pour atteindre les résultats escomptés.
En revanche, une grande majorité de gens appliquent des méthodes spontanées selon les temps et les circonstances. Dans tous les cas, un point de convergence saute aux yeux. Ces trois verbes « accueillir, écouter et accompagner » s’appellent mutuellement et sont complémentaires.
CONNAIS-TOI TOI-MEME
Tout comme la maïeutique consiste à faire accoucher les esprits de leurs connaissances pour autant qu’elle est destinée à faire exprimer un savoir caché en soi, selon cette pensée qui remonte au IVe siècle av. J.-C, attribuée au philosophe Socrate, en faisant référence au Théétète de Platon, ainsi dans la direction spirituelle, tout commence par se connaître et se faire connaître aux autres.
A la suite de Socrate, le « Connais-toi toi-même » reste de mise. Au départ, c’est une très ancienne maxime de la sagesse grecque antique inscrite à l’entrée d’un temple dont voici la signification : « Sache que tu es mortel, et non divin. » Un adage latin en donnerait une meilleure intelligence : « memento mori » Souviens-toi que tu vas mourir ou souviens-toi que tu es mortel. Une thématique rappelée aussi le mercredi de cendres pour marquer la finitude humaine face à l’absolu infini de Dieu. Socrate va donner une toute autre signification à ce précepte : « Sache qu’il y a en toi un principe d’excellence qui doit guider tes actions : la raison ».
Dans les strates charnelles de la vie, s’accumule un héritage que chacun, bon gré malgré, se doit faire sien pour envisager une perspective de situation où apparaisse réellement la possibilité de dire « je ». C’est à travers ce « je » que l’être humain parvient à se connaître et à faire un saut qualitatif selon Maurice Zundel, « Je est un autre » .
« Et maintenant il connaît qui il est, et maintenant il existe authentiquement, et maintenant il est devenu vraiment homme, dans ce dialogue avec un Autre, où il expérimente ce que Rimbaud a si parfaitement exprimé, sans savoir peut-être tout ce que ce mot recouvrait : « Je est un autre. »
UNE SURPRENANTE PROBLÉMATIQUE
Prendre conscience de cette situation, c’est déjà, en quelque manière, s’ouvrir une issue libératrice. Si Saint Paul a dit : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu » (1 Co, 4, 7), Maurice Zundel, tire la conclusion qui en découle en ces termes : « J’existe, mais il n’y a rien en moi que je tienne de moi ».
Dans une démarche analytico-critique, cette étude se veut une cogitation dans l’action car d’emblée se pose et s’impose dans le champ sémantique une question pertinente : Pourquoi seulement au Grand séminaire, l’accompagnement spirituel semble de rigueur dans son application avec un caractère obligatoire, et directement oublié aussitôt sorti de l’enceinte de cette maison de formation ? Ou encore, pourquoi les prêtres aiment bien diriger sans se faire diriger ? Est-il plus facile d’écouter que de s’ouvrir soi-même à l’autre ?
Le problème crucial qui se pose avec acuité est celui d’une vision anthropologique africaine. Cette approche fait remarquer qu’en Afrique, il n’est pas de cette tradition d’aller se confier à un prêtre où à un psychologue mais à un membre de famille ou un ami confidentiel. Et par voie de conséquence, la notion d’accompagnateur spirituel, ou directeur spirituel semble ne pas s’ancrer dans le quotidien de beaucoup. D’où la question de sa restructuration s’impose.
Faut-il maintenant échanger sur la posture à prendre afin de militer pour la théorique-pratique qui plonge dans la réflexion de l’essence de l’éducation et la formation ? Sans l’ombre d’un doute, il faut se poser une question concrète pour une réponse concrète. En effet, l’accompagnement spirituel paraît comme une pilule amère à boire pour nombre de séminaristes qui osent laisser échapper leurs préoccupations en sourdine : « Tout ne doit être révélé à l’accompagnateur en raison de son humanité susceptible de fragilité ! »
VERS UNE HYPOTHESE PROBANTE
Il va sans dire que toutes ces questions appellent des réponses aux dimensions éclectiques touchant les domaines pédagogiques, philosophiques, psychanalytiques, développés sous la plume des hommes érudits des maîtres spirituels, sans omettre les expériences de la vie.
Il n’en demeure pas moins que l’objectif de cette étude se résume dans cette affirmation judicieuse où l’homme en quête du bonheur se doit d’être toujours en relation avec l’autre : « La philosophie, c’est l’appel à être heureux avec soi et à s’accorder avec l’autre. » Cette préoccupation paraît la plus concrète des questions pour celui qui se la pose vraiment, à partir du moment, où elle s’inscrit dans la trajectoire de la vie sclérosée par les aléas et les vicissitudes de l’histoire.
Point n’est besoin d’affirmer que l’homme est au centre des sciences humaines. Il est aussi au cœur de plusieurs disciplines relevant des sciences humaines. A la base, il doit y avoir un cadre de référence théorique et pratique, théologique et anthropologique. C’est lui qui définit les démarches à entreprendre pour se construire humainement. Mais face à la profusion et diversité d’approches et de méthodes qui intègrent avec un enracinement ecclésial très variable, il devient de plus en plus indispensable de se donner des critères pour mieux cerner l’aspect de l’accompagnement spirituel.
Il y a, en chaque être, un besoin inné, profond, presque inexprimable, de trouver sa propre voix dans la sphère mondialisée. L’explosion exponentielle, révolutionnaire, de l’internet est l’une des plus puissantes manifestations modernes de cette vérité.
Aujourd’hui, il s’observe un climat d’intense recherche spirituelle dans le chef de jeunes en quête de Dieu, plus particulièrement pour ceux qui veulent consacrer leur vie comme prêtres, religieux ou religieuses. Mais tout s’estompe après la vie séminaristique, comme le constate Jean Laplace, qui amorce ainsi l’introduction de son ouvrage : « Ce livre s’adresse d’abord à des prêtres et il faut avouer que dans le clergé la direction spirituelle n’a pas bonne presse » .
DE LA PSYCHOLOGIE A L’ANTHROPO-THEOLOGIE
L’accompagnement spirituel doit aussi tirer ses racines des us et coutumes des situations existentielles. Quand un problème nécessite une solution, l’anthropologie africaine montre que l’intéressé va voir les personnes sensées de son entourage, sans qu’elles ne portent le nom d’accompagnateur ni de directeur spirituel. La notion d’accompagnateur reste confinée dans les séminaires, au point que hors de ses murs, la fréquentation diminue sensiblement.
En outre, le développement des sciences humaines, et tout particulièrement de la psychologie, imprègne de plus en plus ces pratiques et souvent d’ailleurs, avec sagesse. Face à cette profusion et diversité, afin d’offrir le meilleur service et d’éviter les dérives, il devient de plus en plus indispensable de se donner des critères pour mieux cerner la spécificité de chacune de ces approches.
Eu égards à tout ce qui précède, les formateurs et les éducateurs doivent fournir de sérieux efforts pour donner, à proportion des besoins de la formation intégrale, un nouvel accroissement de discernement de l’homme dans le tréfonds de son être. Et selon Vatican II : « Il faut aussi que la lumière de la foi les aide à exercer leur discernement sur ce qui se trouve sur leur chemin. »
Le Concile met l’accent sur la nécessité d’une soigneuse formation à l’accompagnement spirituel par laquelle ils peuvent former tous les fils de l’Eglise, d’abord à une vie chrétienne pleinement consciente et apostolique, et aussi à l’accomplissement de leur devoir d’état.
Les questions préliminaires d’ordre géné¬ral esquissent la partie fixant l’essence, le lieu propre, la nécessité et les limites de l’accompagnateur spirituel. Dans le cadre posé, la tâche du guide spirituel et l’attitude correspondante chez le dirigé seront l’une et l’autre décrites méthodiquement. L’ébauche se doit de finir avec quelques situations particulières de la vie spirituelle et leurs exigences respectives.
CONCLUSION
L’accompagnement spirituel est un art de la pastorale, « l’art des arts », au dire de saint Grégoire le Grand. Il est aussi un charisme, un don spirituel qui profite à l’Eglise et à ses membres, un talent divin acquis dans la lumière et par la force de l’Esprit Saint .
Daigne les éventuels lecteurs de ces lignes, tirer profits de ces enseignements et de s’efforcer d’assimiler et d’accommoder tant bien que mal les points focaux utiles pour une vision vers les nouveaux horizons, au travers d’un accompagnement spirituel holistique, afin de s’insérer dans la perspective de Sa Sainteté le Pape François sous la thématique de « Pacte éducatif global » . Le Saint Père met l’accent sur trois dimensions y relatives :
- Placer la personne au cœur de chaque processus éducatif ;
- Investir toute son énergie au service d’une éducation de qualité pour tous ;
- Entraîner les personnes désireuses de se mettre au service de la communauté.
Somme toute, quiconque accompagne un autre à faire quelques pas sur la voie de la sain-teté, n’aura pas peiné pour rien. En effet, accueillir aujourd’hui des jeunes à accompagner, est selon Guy Lespinay : « une chance inouïe de réalisation de soi et d’exercice d’une saine paternité ou d’une saine maternité ».
Par Abbé Jacques Letakamamba,
Directeur spirituel au theologat St jean –Paul II